Sébastien VIDAL - Avocat droit des affaires - Montpellier
Sébastien VIDAL - Avocat droit des affaires - Montpellier

La notion française de l’abus de droit en matière fiscale, à l’épreuve de la nouvelle directive mère/fille

En droit Français, existe la notion « d’abus de droit ».

 

Il s’agit essentiellement d’une construction prétorienne qui peut se résumer ainsi : je n’utilise une prérogative que dans le but d’ennuyer mon prochain.

 

En clair : j’ai le droit de faire une chose, mais la seule satisfaction que m’apporte l’usage de ce droit est que son exercice importune mon prochain.

 

Il existe une autre de l’abus de droit, dans une matière très précise et austère : en droit fiscal.

 

L’abus de droit y est défini par l’article L64 al. 1 du Livre des Procédures Fiscales (le « LPF ») en ces termes :

« Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »

 

Pour résumer : si on se livre à de l’optimisation fiscale dans le seul but de payer moins d’impôts, l’administration fiscale peut estimer qu’il s’agit d’un abus.

 

L’objectif n’est pas ici de philosopher sur le bien fondé de la notion  mais notons qu’elle semble s’opposer au principe constitutionnel qui veut que l’impôt soit seulement la contribution indispensable pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, combiné avec deux autres principes constitutionnels : le caractère sacré de la propriété privée, et la proportionnalité de l’impôt, battus en brèche par le principe de progressivité dont le caractère punitif – pensons à la tranche à 75% par exemple – est patent.

 

Peu importe.

 

En tout cas, dès lors qu’il existe au moins une autre raison que la volonté de diminuer son impôt, il n’y a pas d’abus de droit.

 

Un premier coup de boutoir a été donné à ce dispositif en 2013 : il avait en effet été question de modifier le L64 LPF pour qu’en lieu et place de « aucun autre motif », on trouve « essentiellement ».

 

En clair, l’administration aurait pu décider de redresser quelqu’un qui optimisait si elle estimait que son but était essentiellement fiscal et non plus uniquement fiscal.

 

Autrement dit, l’administration aurait elle même jugé de ce qui était essentiel ou secondaire dans les choix du contribuable : l’arbitraire était évident et fort heureusement, le texte n’a pas été modifié en ce sens.

 

 

Les contribuables pensaient donc être protégés, et n’imaginaient pas que le coup bas viendrait d’ailleurs… de l’UE.

 

Dans la dernière mouture de sa directive mère-fille (qui permet de remonter les dividendes d’une filiale vers une société mère sans que ceux-ci soient fiscalisés – pour faire simple-), un cheval de Troie s’est glissé.

 

En effet, une clause anti abus a été insérée, rédigée comme suit :

« Les États membres n'accordent pas les avantages de la présente directive à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité de la présente directive, n'est pas authentique compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents.

 

Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties.

 

 Aux fins du paragraphe 2, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n'est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. »

 

Lisez bien : l’administration pourra refuser le bénéfice du régime si elle estime que les motifs commerciaux ne sont pas valables.

 

C’est donc l’administration fiscale, qui n’est pas à proprement parler une grande spécialiste de la stratégie des entreprises (sans quoi elle les ponctionnerait moins…), qui va juger de ce qu’est un motif commercial valable.

 

Sans doute sait elle mieux que les chefs d’entreprises ce que sont des motifs commerciaux valables…

 

Mais regardez bien : alors qu’aux termes du L64 LPF, dès lors qu’il n’y a pas qu’une raison fiscale, il n’y a pas abus de droit (c’est objectif : dès lors qu’il existe une autre raison, elle est valable et l’administration n’est pas juge de l’opportunité), dans le texte de la directive, on laisse à nouveau la place à l’arbitraire de l’administration.

 

Voici ce qui se passe quand les juristes de droit anglo-saxon viennent imposer leur vision : on perd en sécurité juridique.

 

L’avenir nous dira ce que donnera l’application de cette clause, et à quelle sauce seront mangés les groupes de sociétés qui utilisent le régime mère-fille, mais la vigilance semble de mise.

 

 

Sébastien VIDAL

Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 

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