Sébastien VIDAL - Avocat droit des affaires - Montpellier
Sébastien VIDAL - Avocat droit des affaires - Montpellier

Au sujet des "Class Actions à la Française"

 

Le 2 mai dernier, un projet de loi sur les « class actions à la Française » a été présenté en Conseil des Ministres.

 

Le sujet ayant été abondamment commenté, et le texte étant loin d’être figé, tout commentaire à ce stade serait périmé rapidement.

 

Mais seront également périmés, une fois le texte voté et appliqué, les dispositifs existant actuellement.

 

Car en effet, contrairement à une croyance répandue, les actions de groupes existent bel et bien dans le droit Français, même si elles différent fortement de leurs cousines nord américaines, aussi radicales que spectaculaires.

 

Les principaux dispositifs sont :

-       l’action conjointe

-       l’action en représentation conjointe

-       l’action en défense d’intérêt collectifs

 

 

L’action conjointe :

 

Lorsque un ou plusieurs consommateurs ont dores et déjà engagé une action contre un distributeur, une association agréée peut intervenir au soutien de celle-ci. Cette action, encadrée notamment par l’article L421-7 du Code de la consommation, ne peut être exercée que devant les juridictions civiles pour obtenir réparation d’un préjudice.

 

Il s’agit du « degré zéro » de « l’action de classe », s’agissant plutôt d’une possibilité donnée aux associations agréées de venir donner plus de force à des actions engagées par ailleurs, et pas nécessairement groupées.

 

L’action en représentation conjointe :

 

Stade supérieur de l’action de groupe, elle permet à une association agréée et reconnue représentative au plan national (ce qui limite le choix…) d’agir devant les juridictions civiles ET répressives (pénales).

Elle est prévue par l’article L422-7 du Code de la consommation, qui est à ce titre parfaitement limpide :

« Lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national en application des dispositions du titre Ier peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs.

 

Le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur. »

 

Le second alinéa limite drastiquement la capacité des associations à « recruter » des plaignants, et donc, à coordonner une action unique contre le professionnel.

 

En outre, s’agissant d’un mandat (qui permet à l’association d’agir au nom et pour le compte du consommateur), le Pr. Didier FERRIER écrivait que « les condamnations sont donc prononcées directement au profit des consommateurs mandants. […] il ne s’agit pas d’une action de groupe mais d’une addition d’actions individuelles »[1].

 

 

L’action en défense d’intérêt collectif :

 

Une association agréée a la faculté d’agir directement, de sa propre initiative et sans nécessairement assister un consommateur.

L’objectif est ici la défense de « l’intérêt collectif ».

 

Le soutien aux consommateurs victimes est indirect.

 

L’article L421-1 du Code de la consommation permet à l’association de saisir les juridictions pénales en exerçant les droits de la partie civile (donc en demandant pour elle des dommages et intérêts) et en faisant bénéficier le consommateur de la cessation des agissements illicites ou de la suppression des clauses illicites (art. L421-2 Code de la consommation) ainsi que d’agir devant les juridictions civiles pour, selon les termes de l’article L421-6 du Code de la consommation « faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l'article 1er de la directive » 2009/22 CE, c’est à dire les publicités trompeuses, démarchages illicites, clauses abusives dont elles peuvent obtenir la suppression dans les contrats types, etc.

 

Dans tous les cas, les dommages et intérêts obtenus sont au bénéfice de l’association, et en aucun cas des consommateurs (qui pourront en revanche se prévaloir des résultats obtenus par l’association dans leurs actions individuelles).

 

Les limites de l’existant et la comparaison avec les « class actions » :

 

Le Pr. FERRIER définit la class action comme la procédure qui permet « de porter devant une juridiction dans une même procédure, un ensemble de litiges nés entre un professionnel et des consommateurs qui ne sont pas tous identifiés »[2].

 

Les consommateurs lésés  ne bénéficient pas d’un jugement et de l’octroi de dommages et intérêts individuels.

Ils « font masse », et lorsque le professionnel est condamné, il l’est à une somme globale qui est ensuite répartie entre ses « victimes ».

 

L’aspect dissuasif pour les professionnels est de trois ordres :

D’une part les consommateurs se regroupant, il n’y a qu’une procédure, moins couteuse pour eux (et ce d’autant plus que nos confrères d’outre atlantique ont la possibilité de ne percevoir qu’un honoraire de résultat, ce qui est interdit aux avocats Français ou Suisses), souvent médiatisée, dans laquelle une seule condamnation, souvent lourde, est prononcée, empêchant le défendeur d’individualiser les cas (et donc finalement de gagner contre certains).

 

D’autre part la condamnation à des dommages et intérêts est différente de celle qui sera prononcée en France : le principe du droit Français est que les dommages et intérêts doivent réparer le dommage (qui est parfois difficile à évaluer). La conception américaine est autre : les dommages et intérêts ont aussi une fonction punitive (qui est jouée en France par l’amende pénale, plafonnée, et soumise à la commission d’une infraction pénale, au contraire des dommages et intérêts). Ils doivent dissuader tout professionnel de vouloir reproduire la même faute au risque de subir la même punition d’une rare sévérité.  

 

Enfin, il n’est pas interdit de communiquer et surtout de prévenir les consommateurs par tout moyen pour qu’ils se joignent à l’action : ceci renforce la possibilité d’avoir un grand nombre de plaignants, et constitue une publicité négative pour le professionnel.

 

Il est donc rapide de constater la grande différence entre le dispositif américain et les dispositifs Français.

 

En outre, la class action peut être lancée par des avocats, sans passer par une quelconque association comme il est question que ce soit le cas pour la future « class action à la Française ».

 

On peut (à tort ou à raison) craindre une mainmise des associations de consommateurs qui sont en nombre restreint : ce serait un risque pour les consommateurs ne trouvant pas une association souhaitant engager l’action.

 

Le projet, à l’heure où sont écrites ces lignes, ne semble pas vouloir supprimer cette condition …

 

De même, au contraire des class actions américaines, il semblerait que le projet exclue les préjudices corporels, ne retenant que les préjudices matériels (on peut le comprendre néanmoins au regard de la subjectivité qui affecte un préjudice corporel, et notamment des dommages moraux qui en découlent).

 

C’est donc avec curiosité et une certaine impatience que les consommateurs, les avocats, mais aussi les professionnels qui seront les potentielles cibles de ces actions attendent d’en savoir plus…

 

Sébastien VIDAL

Avocat au barreau de Montpellier

 

 

 

Le 15 mai 2013

[1] Droit de la distribution, Manuel, Didier Ferrier, 4ème édition, n°511 ; ed. LITEC

[2] Droit de la distribution, Manuel, Didier Ferrier, 4ème édition, n°512 ; ed. LITEC

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