Sébastien VIDAL - Avocat droit des affaires - Montpellier
Sébastien VIDAL - Avocat droit des affaires - Montpellier

Protection du patrimoine du chef d’entreprise : la fiducie gestion.

Le chef d’entreprise voit souvent son patrimoine personnel menacé en cas de difficultés de son entreprise.

 

Il va donc souvent chercher à protéger celui-ci par l’emploi de diverses techniques.

 

Hélas, la pratique nous apprend que ces techniques résistent mal à l’assaut de la procédure collective,

 

Les principales techniques de protection du patrimoine

Parmi les plus connues réside par exemple l’utilisation d’un régime matrimonial séparatiste (parfois à double tranchant en cas de divorce).

 

L’utilisation de la forme sociétaire (SARL, SAS notamment) est extrêmement répandue, d’autant plus que les formes unipersonnelles de sociétés (EURL, SASU) permettent en outre de bénéficier d’une imposition sur le revenu au réduisant l’écart avec l’entrepreneur individuel (le propos ici n’est pas de comparer les intérêts des formes entrepreneuriales au regard des incidences fiscales et sociales néanmoins).  Certains jouent même avec les formes juridiques étrangères parfois plus protectrices. En principe, le risque est limité à l’apport en capital.

 

L’entrepreneur individuel a pu, quant à lui, bénéficier de l’insaisissabilité de son patrimoine immobilier, ou, via la récente EIRL, affecter à son activité un patrimoine limité (le reste de son patrimoine personnel, étant dès lors, théoriquement protégé).

 

Les limites de ces techniques en cas de procédure collective (notamment)

 

Les entrepreneurs savent généralement que ces techniques ont leurs limites.

 

Ainsi, le dirigeant de société est souvent contraint de se porter caution de la société. Qui plus est, en cas de procédure collective (redressement ou liquidation), la caution sera immédiatement activée, ou s’il n’y en a pas, à la moindre faute de gestion (l’interprétation étant très extensive), il pourra être visé par une action en comblement de passif, engageant tout son patrimoine.

 

N’étant pas entrepreneur individuel, il n’aura pas pu préserver son patrimoine immobilier via une déclaration d’insaisissabilité. Quand bien même son conjoint serait commerçant et aurait pu le faire, et même avec un régime matrimonial séparatiste, le risque d’une action en licitation demeure.

 

Qui plus est, dans tous les cas, les parts de sociétés, placements financiers, parts de SCI, etc. ne sont pas protégés.

 

La protection absolue ne réside donc pas dans les solutions classiques, si tant est qu’elle existe.

 

Par simplicité, nous assimilerons le dirigeant de société et l’entrepreneur individuel.

 

En effet, dans les développement qui suivent c’est le second qui est en principe visé, néanmoins, nul doute qu’en cas d’action en comblement de passif, la situation du dirigeant de société soit confondue avec la sienne, et que le juge n’applique les mêmes règles.

 

La solution novatrice : la fiducie gestion

 

La loi du 19 février 2007 a introduit en France la Fiducie.

 

A l’origine, seul les « établissements de crédits », c’est à dire les banques pouvaient proposer ce dispositif, avant que les avocats ne puissent à leur tour être « fiduciaires ».

 

Ce dispositif est encore peu connu par les chefs d’entreprises : et pour cause, il peut leur permettre de mettre leur patrimoine personnel à l’abri de leurs créanciers professionnels, notamment les banques.

 

La fiducie est une « opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires »[1].

 

En langage clair :

Le constituant (chef d’entreprise) transfère temporairement[2] son patrimoine personnel  à un fiduciaire (avocat), qui a pour fonction de l’administrer au profit d’un bénéficiaire (le chef d’entreprise, ou sa famille par exemple).

 

Ce « patrimoine d’affectation » n’est plus la propriété du constituant[3], et est tenu à l’écart de celui du fiduciaire : ainsi, les créanciers (sauf s’ils sont antérieurs à la création de la fiducie) du constituant autant que du fiduciaire n’y ont pas accès.

 

Ceci ressort en effet du Code civil :

L’article 2024 dispose en effet :

« L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire. »

 

L’article 2025 dispose quant à lui :

 

« Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d'un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. »

 

Ceci signifie que, le constituant recherché sur son patrimoine personnel pour ses créances professionnelles ne pourra voir le patrimoine fiduciaire saisi, puisque juridiquement, il ne lui appartient plus !

 

A condition que la fiducie ait été constituée assez tôt bien entendu…

 

En effet, deux limites existent en ce sens :

-       la fraude, tel que précisé dans l’article 2025 du Code civil : constituer une fiducie quand l’entreprise commence à aller mal pourrait être vu comme une fraude

-       En vertu de l’article L.632-1 9° du Code de commerce, est nul de plein droit tout transfert fiduciaire consenti par le débiteur en cessation des paiements. Il s’agit d’une interdiction générale de recourir à la fiducie gestion en période suspecte.

 

 

Une troisième limitation demeure, même si la fiducie a été constituée suffisamment en amont :

 

l’article L 641-12-1 du Code de commerce dispose en effet : « Si le débiteur est constituant et seul bénéficiaire d'un contrat de fiducie, l'ouverture ou le prononcé d'une liquidation judiciaire à son égard entraîne la résiliation de plein droit de ce contrat et le retour dans son patrimoine des droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire »[4].

 

 

Mais ce texte semble pouvoir être limité : en effet, « SI le débiteur est constituant ET SEUL bénéficiaire » est la condition pour que la fiducie soit résiliée de plein droit.

 

Ainsi si plusieurs bénéficiaires sont prévus, autres que le débiteur, la résiliation de plein droit ne pourra pas intervenir a priori.

 

Il est difficile de présager des décisions juridictionnelles à venir concernant une résiliation qui ne serait pas « de plein droit », mais basée sur le principe général de fraude par exemple, mais à ce jour, l’arsenal dont dispose le créancier pour défaire une fiducie semble très limité.

 

Conclusion :

 

La fiducie gestion peut être mise en place par un avocat pour constituer un niveau supplémentaire de protection du patrimoine de l’entrepreneur, à condition qu’il le fasse avant que son entreprise ne connaisse des difficultés.



[1] Art. 2011 Code civil

[2] pour la durée du contrat de fiducie : 99 ans au maximum, ou toute durée inférieure, éventuellement bornée par un événement tel que la vente de l’entreprise, un départ à la retraire, etc.

[3] bien qu’il reste redevable des impôts et taxes sur ce patrimoine : principe de neutralité fiscale de la fiducie découlant des articles 238 quater N à Q et 885 G bis du Code général des impôts ; de même la fiducie ne peut être constituée à fin de libéralité en application de l’article 2013 du Code civil.

[4] Comme précisé plus haut, bien qu’il vise le constituant placé en procédure collective, et non le constituant gérant d’une société placée en procédure collective et lui même visé par une action en comblement de passif, il semble prévisible que la confusion soit opérée à l’avenir. En effet, la fiducie étant un dispositif récent, la jurisprudence est rare à cette date. 

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